chutes barbares - recortes bàrbaros
En ces lieux que nous aimons hanter, ICI comme LÀ, des petites filles sommeillent sous la boîte à couture, bercées par les parfums d'une infusion de sureau ... Elles rêvent d'être les costumières d'un théâtre surgi de l'enfance, quand il était facile d'être princesse jusqu'aux coups de minuit.
P'Tite Soeur, elle, rien à voir. Chaussée de bottes et de culottes, elle aimait les poubelles, les vraies. Elles sont encore des pochettes surprises pour ses yeux éblouis. Clotho, plus timorée, avait peur de grimper aux arbres... mais ramper sous la table et ramasser d'infimes rognures, ça, elle pouvait. Elle a ainsi collectionné des chutes de presque rien qui font dire à la voix de sa mère, au loin, "tu gardes vraiment n'importe quoi". Mais cette voix n'est pas hostile, car cette voix avait aussi des mains, des mains à faire des miracles...
Si Polline file en douce voir Marguerite cachée dans sa datcha, Clotho, quant à elle, fréquente depuis longtemps une Ernestine. Il faut l'imaginer à contre-jour, entre une Diane en bronze et un gros plat en céramique de Nancy où se tortille une belle anguille genre Palissy. Ernestine ne vend ni ne fabrique rien. Elle bricole des histoires, chez elle les théières ont des queues de rat et elles observent les humains :
" Il y a longtemps, il y avait aussi des contes qu’on ne dit plus jamais mais qu’Ernestine essaie de réinventer.
- Encore une histoire, s’il te plaît.
- Il était une fois, deux petites filles…
- Non, pas celle-là, je la connais.
Ernestine réfléchit, Ana sait qu’elle défroisse une feuille de Rizla et plisse les yeux au-dessus de ses lunettes :
- Alors, voilà, un jour, tandis qu’elle dormait au bord de l’eau, des dieux à fables cousirent une pierre de jade dans le jupon d’Ana…
- Des dieux comment ?
- Ceux qui racontent des histoires, tu sais.
Ana ne sait pas s’il faut entendre à fables ou affables. Elle aimerait bien les deux.
- Ils lui cousirent une pierre de jade ?
- Oui, c’est plein de bonnes choses, une pierre de jade…ils la cousirent dans son ourlet.
- Mais ça va déchirer le jupon, il est déjà si lourd ce jupon.
- Non, tu vas voir : Ana traîne son jupon, un grand jupon de tulle, quand elle marche pieds nus au bord des plages et dès qu’il touche le sable, des ophiures l’étoilent, elles brillent dans la nuit, alors, alors seulement, Ana écoute les dieux affables, ils gisent sur le sable, ils sont décapités, ils soufflent des histoires et Ana les entend."
(Muriel Daumal. La Paix d'Izri.)
Aujourd'hui, pour Ana, ce collier barbare ramassé sous la table ou plutôt... sur le sable :
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