se projeter - proyectarse
"Ils sont en fleurs aux Aygalades. Dans le vallon défiguré, sous les brusques calcaires où durent s’accrocher les Carmes dont le couvent béant plonge sur l’autoroute, ils sont en fleurs et noient de leurs flocons le laid désordre des collines.
Toujours sur ce parcours elle gratte le paysage, désosse les immeubles et cherche les tracés que fit le pas des mules en relais des navires. Même si encore le froid cingle les tailles qui se voulaient légères parce que les jours se font à peine plus longs, ils sont en fleurs, les amandiers, et Ana les attend en comptant les printemps, leur approche tranquille aux branches dénudées. Elle ne sait jamais par quel chemin vient l’accabler l’hiver, au détour de quelle sente sa morsure la reprend pour ne pas la lâcher, mais les premiers pétales, elle en guette la neige sur les rameaux blessés qui tordent toutes leurs griffes devant la vieille bâtisse, en contrebas de l’autoroute. Depuis des années à l’avant-poste, ils effacent un instant l’architecture hâtive des cités où se lèvent, tels des boucliers, des rangs de paraboles, ces oreilles dressées."
La paix d'Izri. Muriel Daumal.
( Les Aygalades. Photo "volée" sur marseillesympa.com. Cette bastide se délabre, elle est tout ce qui reste de la splendeur des lieux et c'est là que fleurissent les premier amandiers, entre Marseille et Aix, sous le viaduc des Aygalades.)
Ne ferait-elle donc rien, Clotho, depuis tant et tant de jours ? Peu de choses, il est vrai. Elle laisse s'écouler les jours et tâche d'effacer le goût qu'ils ont parfois, comme lorsqu'avec gourmandise elle plonge la main dans le sac d'amandes et croque celle qui décharge son amertume foudroyante.
Avec patience, tout doucement, l'ouvrage se construit. Il y aura d'autres printemps.