rhétorique du bocal, ou l'art du déchet... - retórica del tarro, o el arte del desperdicio
Ce sera plus fort que moi, aujourd'hui je ferai un peu de pédago.
Rappel : avec 25 gr d'alpaga lace et quelques feuilles de rhubarbe en longue décoction on avait eu ça :
Mais avec un (bon) avocat et 25 gr de kidmohair et soie on obtient ça :
Quelques peaux fermentées dans un bocal d'eau puis un petit passage en eau alcalinisée (eau de cendre ou quelques grammes de chaux).
Dans le mohair, à l'avenir, je ne chercherai plus à "faire dans la dentelle", le motif n'est sans doute pas approprié, il se définit mal et 220 mailles pour une "shawlette" c'est trop (modèles Clotho, trop feignasse pour déchiffrer de chouettes dentelles qui ont fait leurs preuves, et franchement à la portée d'une tricoteuse de base).
Ces peaux d'avocat, ces feuilles de rhubarbe, vous alliez les jeter, or voyez les couleurs que vous pouvez obtenir avec des déchets ordinaires, ceux de votre cuisine, et sans rien cueillir ! Une poignée de rhubarbe pour une tarte, avec les feuilles bien sûr : au moins 200 gr de laine teinte. 4 avocats : plus de 200 gr de laine teinte tant la couleur est puissante et longue à s'épuiser.
Et puis, rappelez-vous les bleus et les verts obtenus avec du chou rouge (les quelques feuilles externes, celles que l'on jette, hachées menu et mises à fermenter), le violet profond de la betterave (les épluchures crues mises à fermenter) et si vous ciselez vos fanes de carottes (après en avoir utilisé quelques-unes en salade), par décoction vous obtiendrez le jaune puissant que vous pouvez voir ci-dessous et qui va s'envoler avec 19 autres petits frères roses, mauves et verts, tous différents, vers la Belgique :
Comme tout cueilleur, le teinturier naturel ne peut pas produire en masse et ne doit pas être un prédateur. Ses ressources sont renouvelables mais elles sont parfois fragiles ou lointaines (NB : il existe une traçabilité pour un indigo "éthique", il en va de même pour les bois exotiques, et ce, dans des échanges équitables).
Heureusement pour lui, beaucoup de plantes peuvent être cultivées dans son jardin ou dans des exploitations de taille raisonnable puis vendues sèches ou transformées (voir Couleur de plantes).
Evidemment, le revers de cette production est exactement le même qu'avec les plantes médicinales, les huiles essentielles, et tous les produits dits naturels que l'on retrouve transformés dans les rayons de magasins en tous genres...
La mode du "naturel" a ses risques, le plus redoutable n'étant pas la disparition d'espèces rares (parmi les "plantes de la couleur", en France, à l'exception de l'aspérule il y a peu d'espèces en danger) mais plutôt celui de leur confiscation, à terme, par le "marché", comme cela se produit pour les semences et de plus en plus de plantes médicinales.
Cependant, ne croyez pas que je diabolise sous ce terme de "marché" l'utilisation industrielle de la plante, car il existe un nouveau défi, tout aussi passionnant : le recyclage des déchets verts pour la teinture en confection (et pas seulement en haute couture) ou la peinture.
C'est à ce défi que travaille Michel Garcia, le fondateur de Couleur Garance et que vous pouvez retrouver dans cet ouvrage
(NB : aujourd'hui, Michel Garcia ne travaille plus du tout l'indigo tel qu'il est indiqué dans cet ouvrage, ses méthodes sont devenues parfaitement organiques, écologiques.)
Donc, pas d'angélisme des petites fleurs des champs : cela reste une pratique limitée. Mais il y a matière à réflexion, je sens que ça va fermenter dans le bocal !