alma mater, mon conte du solstice - alma mater mi cuento de solsticio
Si je n'avais passé ma vie à me raconter des histoires qui sait dans quelle sombre vallée je serais à verser des larmes de damné. Voici mon conte, qu'il coule et qu'il éclaire ces derniers jours de l'année.
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Ce n'était pas une sylve obscure, le chemin s'enfonçait légèrement à couvert sous l'yeuse et les filaires, parfois empêché par des broussailles et des taillis anciens. Il faisait froid, le mistral soufflait en rafales. Il avait plu la veille et les pieds dérapaient quelquefois. Au loin, lorsque la vue se dégageait, s'étirait la silhouette de la Sainte Victoire, sa face nord découpée sur le ciel.
A l'ombre, contre d'anciennes restanques, dans les amas de feuilles enfin humides après des mois de sécheresse, les lianes de la garance voyageuse se dressaient constellées d'étoiles violacées dont les bords armés d'éperons râpaient mes mains fouineuses, j'avais l'espoir de récolter mais je ne trouvais rien de satisfaisant.
Après un temps, fouettés par les spartes et griffés par les ronces, nous longeâmes un ravin encombré d'épineux, nous traversâmes une glèbe lourde qui colla à nos semelles et tout à coup, derrière un fouillis de cornouillers déshabillés , en limite d'un bosquet de petits chênes griffus nous aperçûmes un de ses murs. Avançant jusqu'à elle, nous la vîmes écroulée, à peine identifiable. Lorsque nous approchâmes, sous l'arc brisé qui demeurait entier, une Vierge à l'Enfant regardait sans nous voir.
C'était une chapelle du 12ème siècle.
J'étais partie dans l'espoir de glaner quelques herbes, des baies, des galles, racines ou écorces tinctoriales car la saison avait été maigre. Nos balades espèrent toujours la récompense d'une souche, de quelques feuilles ou d'un bouquet de thym. En cette année calamiteuse j'étais bredouille mais le hasard avait fait don de ce lieu délabré.
Au retour, les ombres avaient beau s'allonger je ne perçus que l'or du crépuscule et cette présence qui habitait les lieux, puis, tout à coup, au bord du chemin je vis les fruits, en grappes noires, à hauteur d'yeux, sur un buisson, un seul, et mon cœur fit un bond. De tout l'automne je les avais cherchés mais la nature morte de soif n'avait donné que des choses avortées.
Ce n'était pas l'abondance mais je compris que j'avais reçu un deuxième don, le troisième serait la couleur qui en sortirait, je l'appellerais "Notre-Dame d'Entraigues".
Petites baies de troène sylvestre.
Au seuil d'une nouvelle année, dans cet "entre-deux" où les nuits sont si longues, je vous souhaite encore une âme d'enfant et la petite flamme qui éclairera vos jours.