"Elle était costumière de théâtre et les pièces de la maison débordaient de brocarts, de velours et de soies, mais ses coulisses à elle, sa grotte et son palais secrets étaient dans le grenier.
Par couleurs, elle rangeait dans des boîtes de Zan le moindre bouton de nacre, d’os ou de céramique qu’elle ressortait un jour pour parfaire un corsage, reprendre une jaquette, rajeunir un manteau. Elle ne jetait rien, elle retaillait, modifiait, transformait et se plaisait à répéter qu’il fallait faire du neuf avec du vieux, qu’elle aimait mieux redonner vie à ses chiffons que couper tout de go une pièce de taffetas raide de son apprêt.
De grands paniers d’osier contenaient en vrac de petits carrés de laine qu’elle tricotait à temps perdu en attendant le jour où elle les assemblerait pour faire des couvertures, des trésors de famille qui tomberaient en poussière dans un placard fermé.
Au mur, il y avait une relique. Un canevas de jute aux points patiemment comptés sur des sacs que l’épicier du coin lui avait concédés un à un après les livraisons de café, qu'elle avait lessivés sans mot dire au lavoir public sous le regard tordu des femmes des manœuvres et qu’elle avait brodés au point de croix, jour après jour, avec les pulls détricotés des défunts qu’elle aimait.
C'était un couvre-lit, il finit en tenture. Elle la touchait souvent, comme on caresse une chevelure. Elle y avait inclus le seul objet qu’elle tenait de sa mère, un pull-over d’enfant, désuet, démodé, qu’elle porta longtemps, d’un vert sourd, cul de bouteille. Sans doute le portait-elle en arrivant à l'orphelinat. Trop vite étriqué, elle le roula en boule et en cachette sous l’oreiller pour pleurer dans son lit lorsque les sœurs la punissaient et la privaient de repas.
J’ai vu cette tenture derrière le divan de poupée qu’elle avait fait monter dans son grenier, je me souviens de ses étoiles géométriques comme un dessin mauresque. Elle y appuyait parfois sa joue quand elle se reposait d’avoir cousu longtemps sans relever la tête. Je l’ai vue et je l’ai convoitée.
Ses dons étaient extravagants, des heures durant elle s’enfermait là-haut pour monter sur des formes de feutre des chutes de passementeries tombées des commandes qu’une diva de passage consentait à lui faire –les petites mains de là-bas, ma chère, de pures merveilles, et à des prix…- et puis elle arborait allègre des chapeaux précieux que la diva n'acquerrait jamais, aussi cher en offrirait-elle. Pas question de les vendre.
Lorsque nous habitâmes la maison, les mannequins de bois et de carton rangés dans le grenier et qui avaient tout l'air d'une armée qui défile avec ses estropiés m’effrayaient. J’aimais pourtant cet antre. Bien sûr il y manquait quelqu’un, quelqu’un qui en riant dirait encore « tu sais j’ai une idée ! je n'ai pas pu me coucher. Je suis fatiguée d’avoir autant d’idées ».
Muriel Daumal Nicaise. Les chemins pas lesquels Adèle...
Long préambule à ce qui fermente en ce moment. Parures sauvages de rien et de tout qui traînent dans la mémoire et dans l'imaginaire. Capes de chamane, robes de gueuse ou de mariée, bijoux éphémères... De soie, de lin, de chanvre, de lambeaux passés par les pots et non rincés pour en garder les salissures (l'odeur aussi...).
tout est en cours, rien n'est définitif, les capes de chamane n'en finissent pas de grandir...
quelques bijoux encore mais ces deux-là viennent de partir, abracadabra...
(soies imprimées par contact de végétaux, fils de soie et de coton teints par fermentation pour la plupart, perles Miyuki et autres très minuscules pour lesquelles je viens enfin de trouver dans un déballage du dimanche LES bonnes aiguilles ! et c'étaient des Bohin, hélas...)